"Debout dans l’eau" . Zoé Derleyn par Philippe de Potesta
"Debout dans l’eau" . Zoé Derleyn , roman, éditions La brune au rouergue , mai 2021, 134 p , 16 eu.
Après le recueil de nouvelles (2017) "Le goût de la limace" , "Debout dans l’eau" est le premier roman de Zoé Derleyn, cette Bruxelloise de 48 ans peu connue .
J’attire ici l’attention des lecteurs de Vers l’horizon car cette toute nouvelle sortie est une perle rare que j’ai décidé de découvrir et de vous en faire profiter car je suis certain que ce sera une des grandes découvertes littéraires de cette année . C’est une œuvre rare promue à n’en pas douter à un bel avenir !
La narratrice est une enfant de onze ans abandonnée par sa mère dès l’âge de trois ans et, qui l’a confiée aux bons soins de ses grands-parents . Elle raconte son été dans cette belle propriété du Brabant flamand . La maison est vaste et bordée d’un étang qui jadis était des douves . Le grand-père autoritaire se meurt ,en phase terminale et la grand-mère passe une grande partie de la journée en cuisine . La fillette consacre une bonne partie de son temps à s’affairer dans le jardin lorsqu'elle ne pêche pas ou nage dans l’étang .
C’est un roman court , épuré et poignant à la prose singulière dont la sensibilité est si forte que sa lecture fait écho longtemps , très longtemps après en avoir refermé la dernière page . L’écriture nous accroche et nous enchante en nous immergeant dans les rêveries et l’imaginaire d’une pré-adolescente écorchée par la vie et livrée à sa solitude . L’eau de l’étang où se baigne volontiers la narratrice est calme et douce pour la peau mais, elle symbolise aussi la force de la vie et la violence de la mort .
Ce roman comme un Tintin peut être lu de sept à septante sept ans , au premier degré ou en profondeur tel le Petit Prince .
La nature y est magnifiquement décrite , le potager , l’étang ,les animaux ,les gens qui s’occupent de la propriété et de la grande maison , également .Tout comme la cuisine avec ses odeurs de potages ,de confitures ....
P 15, “ L’étang s’enroule autour de la maison dans une étreinte tiède. il lèche les murs jour et nuit lorsque le niveau de l’eau baisse, en période sèche , la brique mise à nu garde la trace verdâtre de cette étreinte .”
Pendant l’été ,la fille grandit dans sa tête pour prendre petit à petit le relais de son grand-père qui se meurt . Tous les jours , elle lui apporte ses repas en chambre et lui, qui était si autoritaire mais, qui lui avait appris tout sur la conduite de la propriété , ne parle plus . Tout est suggéré et la confiance est réciproque .
p 52 “ Je pourrais lui demander : Comment on allume un feu ? A la place je tourne la tête, je fais comme lui. Le ciel se dégage , demain il fera beau . Je pourrais pêcher , peut-être . Ou faire un pique- nique dans les champs . Si je lui demande pour le feu , c’est comme si je lui disais / Tu vas mourir, il faut que tu m’apprennes . Et parfois, je crois que lui aussi s’imagine que je vais avoir onze ans et demi presque douze et qu’il va rester mourant pour toujours. L’hiver est encore loin , ma connaissance du feu attendra .”
Pour trouver un peu de consolation et la tendresse qui lui manquent tant ,en cachette de sa grand-mère , elle lit des mots de la bible (le livre) de celle-ci .
P33 “ Tous les dimanches , ma grand-mère quitte la maison, le livre sous le bras. Elle revient deux heures plus tard . Aucune parole n’est prononcée . Elle ne dit pas : J’y vais. Elle a le livre sous le bras , elle prend ses clés de voiture, elle sort de la cuisine, elle n’est plus là . Elle ne dit pas: Je suis de retour. Elle range ses clés, son livre et elle reprend ses tâches là où elle les a laissées .”
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Elle qui n’aimait pas, Baron le labradoir noir ,le préféré de son grand père finit par marquer la filiation et le relais du passage de flambeau en déclarant qu’elle ira sur la tombe du chien mort à l’automne ,tué par des chasseurs .
p 134 “ En rentrant de l’école,j’irai voir la tombe toute fraîche , derrière les groseilliers à maquereau . J’enlèverai mes gants et je poserai mes mains à plat sur la terre gelée , jusqu’à sentir le bout de mes doigts enfler . Je me rendrai compte qu’il était mon préféré à moi aussi .”
Zoé Derleyn est parvenue à nous rendre toutes les émotions et les réflexions qui nous ont traversées pendant notre enfance. Lorsque elle nous décrit le frôlement des herbes sur la peau, nos doigts en frôlent cette page le ressentent également !
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