"Torrentius", Colin Thibert par Isabelle Regout
"Torrentius", Colin Thibert, par Isabelle Regout
"TORRENTIUS", Colin Thibert, éd. Héloïse d’Ormesson, 2019. Par Isabelle regout
Dans ce petit livre qui dépasse légèrement la centaine de pages, Colin Thibert, scénariste, auteur de polars et de livres destinés à la jeunesse, formé initialement au dessin et à la gravure, nous transporte à Haarlem, dans la jeune république des Provinces-Unies, au début du XVIIè siècle.
L’atelier du peintre Torrentius regorge de pigments, huile de lin, fiel de bœuf, mais aussi de tous ces objets que l’on retrouve dans les natures mortes : pjchets d’étain ou de grès, crânes d’animaux de toutes sortes, instruments de musique, livres, carafes pansues. Mais que dire du peintre lui-même ?
« Torrentius passe la soirée à l’Auberge du Faucon Doré où il a ses habitudes et une ardoise considérable. Le peintre retrouve, dans une salle du fond, la cohorte de ses zélateurs, de jeunes hommes que sa verve enchante, que fascinent ses rodomontades. Tous arborent des coiffures, des fraises extravagantes, des habits hauts en couleur car Torrentius ne se contente pas du rôle de maître à penser et d’amuseur public, il dicte aussi les modes. Il a besoin d’un public comme les plantes ont besoin d’eau, tout le monde y trouve donc son compte. L’argent lui brûlant les doigts, même quand il ne l’a pas encore gagné, c’est en général lui qui régale. Torrentius choisit les filles, installant toujours la plus belle sur ses genoux, c’est sa prérogative. »
Le libertinage et les provocations de cet homme haut en couleur ne plaisent pas à tous en ce siècle où le nouveau bailli Velsaert fait autant régner l’ordre que la morale. Rigoriste, puritain, toujours habillé de noir, c’est l’antithèse du peintre dont il a juré la perte. Torrentius, pour des raisons de marketing avant la lettre, se permet même d’invoquer le diable ! C’est une hérésie qui glace d’effroi son entourage. Un procès s’abat sur le peintre. Les amis s’envolent, les faux-témoignages se bousculent, la torture finit par arracher des cris de douleurs à l’homme qui ne renie pas pour autant son mode de vie, ni sa soif de liberté. Liberté de penser et surtout de se réjouir de toutes ces beautés que le Créateur a distillées sur terre pour qui sait les voir et les savourer.
Ce court roman s’appuie sur des événements historiques parfaitement exacts quoique peu connus. Mais c’est surtout à la jouissance que Colin Thibert nous invite.
« J’écris, monsieur, sur l’art et la manière dont certains hommes s’estiment investis par Dieu du pouvoir de juger, de tourmenter et de punir ceux qui ne partagent pas leur conviction. J’écris, monsieur, sur l’art et la manière dont ces mêmes hommes s’acharnent à détruire, à étouffer ou à museler ce qui dépasse les étroites limites de leur compréhension. Ceux qui m’ont condamné, messieurs, ne craignent rien tant que la vie, ses débordements, ses jaillissement et ses couleurs. Aussi vont-ils la tête basse et le teint bilieux, tristement habillés de noir, rongés par l’envie et la frustration. Savez-vous pourquoi ils me détestent ? Parce que j’ai tout ce qu’ils n’auront jamais : du panache, du talent et toutes les femmes que je puis désirer ! »
Le style est efficace, l’histoire bien menée, le rythme révèle le scénariste. Vous ne visitez pas un monument de la littérature, mais vous passerez un bon moment, vous interrogeant sur l’éventuelle nécessité de museler un artiste. L’art peut parfois toucher au sublime pendant que la morale est réduite à peu de choses.
Torrentius a réellement existé, laissant un seul tableau (Nature morte avec bride et mors) pendu, contrairement à son auteur, aux cimaises du Rijksmuseum.