"Les morts ne nous aiment plus" . Philippe Grimbert par Philippe de Potesta
"Les morts ne nous aiment plus" . Philippe Grimbert par Philippe de Potesta
"Les morts ne nous aiment plus ". Philippe Grimbert . Roman . Grasset ;mai 2021 193p ,18 eu.
Philippe Grimbert ,psychiatre à Paris a écrit depuis vingt ans neuf romans dont le plus célèbre “ Un secret” a obtenu le Goncourt des lycéens . Vendu à plus d’un million et demi d’exemplaires , il a été adapté au cinéma et joué par Patrick Bruel et Cécile de France .
Quelle agréable découverte que ce tout récent petit roman que nous livre Grimbert avec son écriture vivante et claire aux idées travaillées jusqu’au bout et vibrantes de ses émotions . Il utilise la première personne pour coller avec les pensées et réflexions de Paul ,le narrateur qui est dans ce récit ,un écrivain psychanalyste comme l’auteur lui- même en fait .
Paul est un spécialiste du deuil dont il a fait le sujet de ses conférences . Sa vie va basculer lorsque Irène son épouse va se tuer en voiture tout comme ses propres parents qui eux, l’avaient fait volontairement . Paul va ensuite sombrer dans un veuvage pathologique dont il ne semble pas guérir . Il est prêt à tout pour pouvoir parler à nouveau avec sa femme .
Cette recherche est décrite par l’auteur d’une manière très sensible et délicate que l’on retrouve de façon omniprésente . Nous procurant un excellent moment de lecture .
Paul avant de perdre sa femme va avoir un malaise cardiaque et connaître l’expérience de la mort iminente ; p34, “ Si l’âme existait,elle ne s’était pas éloignée de mon corps mais était plutôt restée couchée sur lui, comme un chien sur la tombe de son maître .”
Après coup ,Paul se fera placer un pacemaker . Cela va lui ouvrir les yeux sur la réalité technologique de son siècle ;
p 39, “ A l’époque de Molière et de Racine,j’aurais eu la capacité de comprendre la source de l’énergie qui animait les machines dont j’étais entouré : le vent, l’eau ou la force des chevaux ; aujourd’hui l’électricité, les ondes, l’énergie nucléaire ou le numérique représentait autant d’énigmes pour moi . Je ne maîtrisais aucune des techniques que j’utilisais au quotidien : la notion du sans fil relevait du miracle et la moindre télécommande possédait pour moi le charme et le pouvoir d’une baguette magique .”
Un peu plus tard , Irène morte , Paul en dresse un portrait sensible et touchant ;
p 59 “ La petite fille au regard triste connaîtrait une enfance solitaire , écrirait des poèmes, rencontrerait l’homme de sa vie , donnerait naissance à celle qui deviendrait mère à son tour, perdrait un enfant avant même de l’avoir entendu pleurer ,ne se remettrait jamais de l’absence de ceux qui l’avaient laissée en chemin , serait plusieurs fois tentée par l’abîme , se refermerait peu à peu sur sa douleur sans avoir la force d’appeler au secours,aimerait passionément celui qu’elle allait quitter cette nuit sans même lui dire adieu .”
Grimbert avant de nous entraîner avec suspens dans le recherche que fait Paul pour obtenir sur son ordinateur une Irène virtuelle qui lui parle et lui répond . Nous fait partager les moments très fréquents des veufs . Ces moments de solitude et d’enfermement censés permettre de ne rien perdre du souvenir de l’être aimé ;
p106 “ J’étais conscient que j’optais pour la pire alternative en privilégiant la compagnie d’une morte , dans une maison où chaque objet criait son absence , au dépens de celle des vivants , ma seule famille , avec laquelle j’aurais pu partager des moments de tendresse . “
Sans vouloir trop dévoiler l’intrigue de la seconde moitié de ce beau roman , je peux vous livrer ce passage de retour à la raison du veuf inconsolable ;
p 171 “ Le projet fou d’entrer en communication avec l’au-delà , d’obtenir le pardon d’Irène et de retrouver , grâce à son aide , le bonheur d’écrire qui m’avait abandonné , montrait cruellement ses limites . La réalité reprenait ses droits. Dégrisé , je retrouvais ma lucidité, et mon sens critique revenait peu à peu .”
Grimbert termine le récit du veuvage de Paul en lui donnant une fin ouverte . Ouverte sur l'opportunité qu’a un écrivain de se sauver par l’écriture . Paul va donc écrire le roman de la vie qu’il a partagée avec Irène en se persuadant que ce livre qui lui serait dédié lui vaudrait peut-être enfin son pardon de n’avoir pas deviné le désarroi de celle qu’il aimait tant !