"Meuse l'oubli" de Philippe Claudel par Eléonore de Jamblinne
"Meuse l'oubli" de Philippe Claudel par Eléonore de Jamblinne
Durant ces vacances, après avoir lu Toi que j’aimais tant de Mary Higgins Clark, je me suis attelée au roman de Philippe Claudel : Meuse l’oubli. Les deux romans traitent du même sujet, à savoir le deuil, mais celui-ci est abordé de manière très différente. Chez Clark, une jeune femme doit faire le deuil de sa sœur, assassinée des années plus tôt. Nous sommes donc plongés au cœur d’un meurtre dans une ambiance à la fois sombre et trépidante. Chez Claudel, tout au contraire, le narrateur doit accepter la mort de la femme qu’il aimait et cela se fait avec lenteur, dans l’atmosphère grise et brumeuse des abords de Meuse, au gré de descriptions parfois crues, parfois poétiques. Ou poétiquement crues.
Dans les deux cas, le deuil prend toute la durée du roman. Dans Meuse l’oubli, nous pouvons, en effet, suivre tout l’acheminement du narrateur, qui est d’ailleurs anonyme, passant par toutes les phases du deuil. Au départ, malgré le fait qu’il ait changé de ville pour fuir tout ce qui se rattache à sa chère Paule défunte, il la fait revivre de mille et une manières, ne tolérant pas son absence : à travers son pull-over qu’il trimbale partout avec lui, ses lettres, les souvenirs qu’il fait défiler dans sa tête, encore et encore. La réalité semble s’être confondue avec la remembrance de cette jeune femme : le monde, pour le narrateur EST Paule, tout se rattache à elle, la moindre odeur, la couleur d’une fleur, un passant, une réflexion…
Fuir, voilà la seule option qu’il a trouvée pour oublier. Oublier toutes ces évocations de la femme qu’il aimait et qui lui meurtrissent le cœur et la pensée. C’est à Feil, petite ville en bord de Meuse, qu’il trouvera un refuge à sa tristesse. Cependant, tout dans cette bourgade y semble faire écho, comme un miroir à sa propre intériorité : la place aux rares passants, le brouillard qui se lève le matin, le ciel gris, la routine dans laquelle sont empêtrés les habitants, l’hôtesse du personnage principal, veuve depuis des années, et la Meuse qui s’écoule sans fin avec alanguissement dans son lit aux flots cendrés. Par ailleurs, la présence du fossoyeur, Maltoorp, avec qui le narrateur aura plusieurs discussions, rends la mort d’autant plus présente.
Le deuil s’achève à la fin du roman avec un geste significatif du personnage principal. Cette acceptation d’un retour au monde des vivants est symbolisée par la présence de Reine, qui se marque de plus en plus au fil du roman. Cette jeune fille à la chevelure flamboyante est vue par le narrateur, à l’issu de son deuil, comme « une promesse rousse et claire, un jeune élan de chair, une flamme immodérée… »
Aux souvenirs qu’il a de sa chère Paule, se mêlent ceux d’une autre femme : sa mère. Celle-ci étant une prostituée, le narrateur a passé toute son enfance à être considéré comme le « Fils à putain » et à être traité sèchement par une mère pour qui il était trop encombrant. En plus de devoir faire le deuil de la femme qu’il a aimée, il doit aussi faire celui de celle qui ne l’a pas assez aimé. Il entretient envers elle une rancœur pour avoir eu une enfance « ratée », à devoir supporter sa vie décousue ainsi qu’une réputation peu glorieuse. Les réminiscences des deux corps se mêlent de temps en temps : un corps qui le dégoutait par l’usage qui en était fait et un autre qu’il adulait, confondant, par là également, les deux femmes qu’il a eu dans sa vie et qui ont occasionné chacune une perte auprès du narrateur. Ces pertes, celle d’une enfance volée et celle d’une femme tant aimée, le personnage principal s’efforce de les accepter au fil des mois. C’est seul qu’il y arrivera, ou du moins qu’un espoir de réussite naîtra, et même si les changements ne sont pas perceptibles de l’extérieur, comme la Meuse qui semble rester intacte et inchangée, de l’intérieur, la vie bouge lentement et avec elle l’espérance d’un renouveau.