Vers l'horizon

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LOLA LAFON, Chavirer, Actes Sud, par Isabelle Regout


LOLA LAFON, Chavirer, Actes Sud, par Isabelle Regout

Cléo a douze ans et s’ennuie jusqu’au jour où la découverte de la danse-jazz la sort de l’univers étriqué de ses parents. Elle n’a plus peur alors de se fatiguer, de recommencer cent fois le même geste, de faire souffrir son corps. La danse devient son univers et Champs-Elysées, l’émission culte de Michel Drucker, devient son rêve, son but. Apparaît alors Cathy, une jeune femme élégante et chaleureuse au sourire d’hôtesse de l’air. Cathy, explique-t-elle à Cléo, représente la Fondation Galatée qui attribue des bourses d’études à des jeunes à haut potentiel. Que ce soit dans le domaine de la danse ou de la musique ou de tout autre art.

 

LOLA LAFON nous entraîne alors dans la vie de Cléo qui voit son rêve devenir bientôt réalité. Cathy emmène Cléo au musée pour l’éduquer, fait du shopping dans les belles boutiques de la capitale française, lui offre des vêtements à la mode, des parfums de prix, déjeune avec elle en des restaurants inaccessibles pour cette toute jeune fille, si heureuse de se voir ainsi accompagnée et encouragée dans son art. Elle devient très « intéressante » aux yeux de toutes ses copines de classe qui, elles aussi, voudraient bien être pareillement gâtées. D’autant plus qu’à chaque occasion, Cathy glisse des enveloppes généreusement garnies dans la poche de Cléo « pour la dédommager du temps employé pour sa formation »…Et voilà le piège qui lentement se referme sur Cléo, trop jeune, trop obnubilée par son rêve. En contrepartie de ces générosités, Cathy explique peu à peu à Cléo à être moderne, avoir de l’ambition, à briser les codes et à oser. Oser quoi ? Aimer Broke Shields plutôt que Sophie Marceau « beaucoup trop sage », à ne pas être coincée, à ne pas faire d’histoire. Cléo devra « se montrer à la hauteur ».

 

Emmenée dans un appartement dans un quartier inconnu d’elle, elle déjeune ainsi que trois ou quatre autres jeunes filles avec les membres de la Fondation Galatée. Ces déjeuners à huit ou dix sont en réalité l’occasion d’abuser de ces jeunes filles. Mises en confiance par Cathy, obsédées par leurs rêves à portée de main, elles sont véritablement mises en condition, et les viols perpétrés, quasi avec leur consentement sont alors tus. C’est la honte mais peut-être le prix à payer pour arriver à être sélectionnée par cette fameuse Fondation. Mais le pire est encore à venir puisque Cathy, la main sur le cœur, affirme à Cléo qu’elle a retenu tout l’intérêt de l’un ou l’autre membre du jury mais elle doit encore s’affirmer, progresser…. « Pourquoi ne serait-elle pas l’assistante de Cathy en lui proposant elle aussi des profils intéressants ?» Cléo va alors entraîner dans sa chute d’autres jeunes filles qui à leur tour sont gâtées, formatées, puis piégées….

 

LOLA LAFON, en cette période Me Too,  nous conte ce parcours dans un style très (trop ?) moderne. Le récit, fait de phrases courtes, directes, est structuré comme un puzzle et on ne comprend pas tout de suite où la pièce doit se placer. Chacune est un personnage qui a connu Cléo, qui a vécu le même traumatisme ou qui cherche à démêler l’écheveau de ces histoires longtemps tues. Le récit est éclaté en différentes tranches de vie. Et le lecteur découvre petit à petit le monde exigeant de la danse, l’envers des paillettes, mais le bonheur malgré tout de Cléo qui en déménageant, a quitté son collège, l’école de danse, tout ce monde glauque pour se construire un avenir bien à elle. Jusqu’au jour où son passé, qu’elle espérait disparu à tout jamais, se rappelle à elle. Elle a fait chavirer de nombreuses jeunes filles qu’elle croyait avoir rayées de sa mémoire.

 

Chavirer, c’est un récit aux mille nuances, où on peut être à la fois victime et coupable. Heureux et souffrant. Mais peut-on pardonner ? Et être pardonné ? LOLA LAFON ne nous offre pas une version à sens unique mais elle nous décrit les pièges tellement puissants pour de si jeunes filles. « Combien de complices avaient permis que se déroule ce jeu de massacre ? » Ces abus sont ignobles, ces quadras sont pervers. Ce livre, qui relate une histoire sans doute vraie, peut-être autobiographique (je n’ai pas réussi à le savoir) a le mérite de nous faire comprendre les ressorts de ces événements.

 

LOLA LAFON, Chavirer, Actes Sud, Août 2020, 344 p.


25/06/2021
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