Vers l'horizon

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"Le parfum des fleurs la nuit", Leïla Slimani par Philippe de Potesta


"Le parfum des fleurs la nuit", Leïla Slimani par Philippe de Potesta

"Le parfum des fleurs de la nuit" de Leïla Slimani, éd. Stock (ma nuit au musée), 149 p, janv. 2021 Par Philippe de Potesta

 

Leïla Slimani es née en 1981.  Elle est l'auteure de trois romans parus aux éditions Gallimard, Dans le jardin de l'ogre, Chanson douce, qui a obtenu le prix Goncourt 2016 et le grand prix des lectrices de Elle en 2017, et le Pays des autres.  Son père banquier et haut fonctionnaire au Maroc a été secoué par un scandale financier dont il a été blanchi.  Sa mère médecin ORL a été la première femme spécialisée au Maroc, fille elle-même d'une française alsacienne.

 

C'est un petit livre mais tellement dense, le parfum des fleurs de la nuit, que Leïla Slimani a écrit grâce à la proposition d'Alina, son éditrice qui a convaincu la jeune romanière de passer une nuit dans un musée à Venise.  La Punta della Dogana (pointe de la douane au bout du Grand Canal) est un musée qui abrite une partie des oeuvres de la Fondation Pinault.  Elle quittera au petit matin ce vaste édifice du 17ème siècle, fatiguée et envoûtée par l'odeur du galant de nuit, ce jasmin sauvage qui ne s'ouvre que la nuit en diffusant son envoûtant parfum.

Septique à la proposition qui lui a été faite, elle avoue p 20 :

"Pas un seul instant je n'ai pensé que je pourrais avoir quelque chose d'intéressant à écrire sur l'art contemporain.  Je n'y connais pas grand-chose.  Je m'y intéresse un peu.  Non, ce qui m'a poussé à l'accepter, c'est l'idée d'être enfermée.  Que personne ne puisse m'atteindre et que le dehors me soit inaccessible.  Etre seule dans un lieu dont je ne pourrais pas sortir, où personne ne pourrait entrer.  Sans doute est-ce un fantasme de romancier."

 

Cette nuit d'enfermement va devenir progressivement une libération, une ouverture.  Suscitant des révélations libératoires d'une honnêteté et d'une franchise qui nous émeuvent tout en effleurant nos propres souvenirs.  Des souvenirs, Leïla nous en partage beaucoup : p49 :

"J'ai été élevée par une mère inquiète dont le mot d'ordre était : "Attention !".  Une mère qui voyait le risque partout : tomber, se faire mal, attraper la mort ou attirer un prédateur.  A l'époque, je lui en voulais d'être si angoissée.  J'avais le sentiment qu'elle m'empêchait de vivre.  Et quand j'ai eu des enfants, je me suis repentie de ces pensées.  J'ai compris cette terreur qui vous saisit et vous paralyse."

 

La magie de la nuit silencieuse et la proximité des oeuvres artistiques vont finalement opérer.  Leïla Slimani va revenir sur les fondements de son éducation et de ses racines françaises et marocaines qui l'ont si fortement influencées.

 

Venise va exhiber cette dualité, p 127 :

"Venise est une ville sans terre.  Sans terroir et sans autre richesse que le sel.  On se nourrit du dehors, de l'extérieur, de l'étranger.  J'y vois le symbole de ma propre histoire.  Peut-être est-ce là que je vis, dans un lieu qui ressemble à cette presqu'île pointue.  A une douane qui par essence est un lieu paradoxal.  Je n'ai ni tout à fait quitté mon lieu de départ ni tout à fait quitté ni tout à fait habité mon lieu d'arrivée.  Je suis en transit.  Je vis dans un entremonde."

 

p 77 :

"A présent, seule et pieds nus dans ce grand musée, je me demande pourquoi j'ai tant voulu être enfermée ici.  Comment la féministe, la militante, l'écrivain que j'aspire à être, peut-elle fantasmer de quatre murs et d'une porte bien fermée ?  Je devrais pouvoir briser les cages, souffler sur les remparts jusqu'à les faire trembler et s'écrouler.  Ecrire ne peut consister seulement à se retirer, à se complaire dans la chaleur d'un appartement, à construire des murs en brique pour se protéger du dehors et ne pas regarder les autres dans les yeux.  C'est aussi nourrir des rêves d'expansion, de conquête, de connaissance du monde, de l'Autre, de l'inconnu.  Derrière une forteresse, que peut-on cultiver d'autre que l'indifférence ?  Avoir la paix est un fantasme égoïste".

 

Difficile pour une jeune fille élevée à Rabt d'évoluer à Paris.  Sa jeunesse l'a maquée comme au fer rouge.

 p 75 :

"J'ai été élevée comme un animal d'intérieur.  Je n'ai jamais pratiqué aucun sport.  Je ne sais pas faire du vélo et je n'ai pas de permis de conduire.  Enfant, je passais le plus clair de mon temps à la maison.  J'étudiais."

 

De page en page, nous nous rendons compte de l'importance que tient l'écriture de la vie de cette femme en questionnement constant.  L'écriture dit et soigne, elle élève et cherche, elle achève un chapitre de vie pour en ouvrir un autre !

p 98 :

"La littérature, au contraire chérit les cicatrices, les traces de l'accident, les malheurs inompréhensibles, les douleurs injustes."

p 95 :

"Il m'arrive de penser que face à la disparition du religieux ou à son dévoiement par des esprits obscurantistes, la littérature peut tenir lieu de parole sacrée.  Elle peut nous élever."

 

Avant de laisser le soin à l'auteure de conclure mon retour de lecture, je voudais conseiller ce livre si riche car, il encourage à écrire tout comme à comprendre la place que doit tenir une femme dans la société multiculturelle qui est devenue la nôtre.

 

p 149 :

"Ecrire a été pour moi une entreprise de réparation.  Reparation intime, liée à l'injustice dont a été victime mon père.  Je voudrais réparer toutes les infamies : celles liées à ma famille mais aussi à mon peuple et à mon sexe.  Réparation aussi de mon sentiment de n'appartenir à rien, de ne parler pour personne, de vivre dans un non-lieu"

 

Philippe de Potesta


31/03/2021
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