Vers l'horizon

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"Sur les chemins noirs" de Sylvain Tesson, par Philippe de Potesta


"Sur les chemins noirs", de Sylvain Tesson, par Philippe de Potesta

"Sur les chemins noirs", de Sylvain Tesson, éd. Folio, janv. 2019, 171 p.

 

Sylvain Tesson est un écrivain et aventurier parisien, diplômé en géographie.  Il a effectué dès son jeune âge des voyages et expéditions souvent dans des lieux et conditions extrêmes, à vélo ou à pied.  Il en a fait des films, des carnets ou des livres.  Des ouvrages de réflexion également.  Ses nombreuses publications dont deux reçurent le Goncourt de la nouvelle et le Renaudot ainsi qu'un accueil enthousiaste d'innombrables lecteurs.

 

Les chemins noirs que Sylvain Tesson va emprunter en pourcourant la France du sud au nord pendant deux mois et demi en 2015.  Ce sont ces petits chemins presque imperceptibles sur les cartes d'état-major.  Il les a choisis dans les régions les plus sauvages et intactes du grand pays.

 

p 37 : "Passages secrets, les chemins noirs dessinaient le souvenir de la France piétonne, le réseau d'un pays anciennement paysan.  Ils n'appartenaient pas à cette géographie des "sentiers de randonnée", voies balisées plantées de panonceaux où couraient le sportif ou l'élu local."

 

Cette sorte de pèlerinage afin de soigner son corps et son âme, l'auteur a décidé de l'entreprendre une année après avoir bénéficié d'une longue revalidation.  Elle résultait d'une chute qu'il fit en état d'ébriété en tombant de plus de huit mètres d'un toit chez un ami (multiples factures et visage déformé).

Sylvain Tesson fait allusion très honnêtement à son alccoolisme débutant.  Il explique brièvement qu'au sortir de l'hôpital une solution médicale à ce problème lui fut proposée.  Après réflexion,  l'écrivain baroudeur va préparer avec minutie son périple sur les chemins noirs.  Il sait qu'il a échappé à la mort ou à la paralysie et donc, il désire souffrir en marchant dans la douleur pour faire fonctionner à nouveau un corps qui avait tout supporté avec facilité lors de ses nombreuses expéditions précédentes.

 

Tel un carême à sa manière, il va endurer, se priver du confort (et d'alcool) et méditer en communion avec la nature, cadeau de Dieu.

 

p 139 : "Il était difficile de faire de soi-même un monastère mais une fois soulevée la trappe de la crypte intérieure, le séjour était fort viable.  Je me passionnais pour toutes les expériences humaines du repli.  Les hommes qui se jetaient dans le monde avec l'intention de le changer me subjugaient, certes mais quelque chose me retenait : ils finissaient toujours par manifester une satisfaction d'eux-même.  Ils faisaient des discours, ils bâtissaient des théories, ils entraînaient les foules : ils choisissaient les chemins de lumière.  Quitte à considérer la vie comme un escalier, je préférais les gardiens de phare qui raclaient les marches à pas lents pour regagner leur tourelle aux danseuses de revue qui les descendaient dans des explosions de plumes afin de moissonner les acclamations."

 

p 157 : "En état de grâce aux abords du Mont-Saint-Michel, presque en fin de parcours, l'âme montait à la peau, le paysage m'avait pris à la gorge.  L'épuisement physique consécutif à des marches de forçat augmentait sans doute les trésaillements intérieurs."

 

Un état de grâce exprimé aussi p 102 :

"Voilà longtemps que je ne m'étais pas trouvé exactement tel que je le désirais : en mouvement.  Je jouissais de me tenir debout dans la campagne et d'avancer sur les chemins choisis.  Noirs, lumineux, éclaircis.  Je suis bien là où je me dois d'être.  C'était la question cruciale de la vie.  La plus simple et la plus négligée."

 

Dans ce récit autobiographique de sa randonnée, Tesson nous parle comme les pèlerins de retour de Saint-Jacques de Compostelle.  Ils gardent pour eux la plus grande part de leur expérience spirituelle pour n'aborder que leurs souvenirs des paysages parcourus et leurs rencontres avec d'autres humains.  L'aventurier à la prose magnifique va puiser dans cette expérience physique et de ressourcement une force incroyable  qui lui permettra d'être en 2019 l'auteur le plus vendu en France avec La Panthère des neiges !

 

Cette belle prose présente à chaque partie de ce poignant ouvrage nous livre aussi de très bonnes analyses sociales et écologiques.  La géographe reporter n'est jamais trop loin !

 

p 53 : "Les Trente Glorieuses avaient accouché d'un nouveau paysage, redistribué les cartes du sol, réorchestré la conversation de l'homme et de la terre.  Depuis dix jours, je serpentais entre les coulures d'asphalte et percevais l'écriture d'une recomposition.  L'une des ruralités était morte.  On en trouvait un souvenir dans les ruines des plateaux.  Les troupeaux avaient été encagés dans les vallées, les pâtures investies par les randonneurs, les hautes routes ne servaient plus aux transhumances, elles avaient été rendues aux vipères.  Les chemins noirs couraient sur les hauteurs abandonnées."

 

p 143 : "C'était un pays plat, plus familier, plus doux, moins cabré que les sculptures de calcaire de la Vésubie, avec des sentiers sablonneux, et des reliëfs comme de grandes caresses de la paume.  J'y trouvais des villages dont j'étais familier, endormis et ramassés autour de leurs souvenirs.  Il n'y a pas ce coup de poing du soleil sur les choses ni cet air colérique de la nature provençale.  Je savais que j'arriverais au bord de la mer."

 

Avec, sur les chemins noirs, Sylvain Tesson nous porte avec la grâce de sa prose sans que l'on se lasse de le lire.  Nous ne marchons pas à ses côtés, non, nous volons haut.  Légers et comblés !

 

Philippe de Potesta 


17/03/2021
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