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Junichirô TANIZAKI, Le Tatouage et autres récits. par Isabelle Regout


Junichirô TANIZAKI, "Le Tatouage et autres récits." par Isabelle Regout

3 Nouvelles japonaises de Junichirô TANIZAKI

 

 

Le beau temps m’a encouragé à faire un tour dans ma librairie bien-aimée : le Rat Conteur, à Woluwe saint Lambert. Dans mes pérégrinations, je passe toujours par le rayon littérature étrangère et plus spécifiquement, littérature japonaise. Il y a tout au plus deux rayonnages qui ensemble ne doivent guère me proposer plus de vingt livres. Mais qu’importe, j’y ai trouvé un recueil de trois  nouvelles (Le Tatouage, Les Jeunes Garçons,  Le Secret) de Junichirô TANIZAKI. Renseignements pris, ce monsieur, décédé en 1965, a plusieurs fois été pressenti pour le prix Nobel de Littérature ! Excusez du peu.

 

La première nouvelle, Le Tatouage, commence à la façon d’un conte. L’histoire révèle la grande sensibilité de l’auteur à la beauté, à l’esthétique. Le style est élégant, précis, la phrase est bien charpentée. Ce monde extrême oriental, tout à fait inconnu de moi, se met à vivre. Les images sont colorées et animées. L’admiration pour ne pas dire l’obsession de Tanizaki pour le corps humain transparait assez vite. J’y ai trouvé la plus belle description qu’il m’ait été donné de lire d’un pied féminin à peine entrevu.

 

« … ; et le pied de cette femme lui apparut comme un inestimable joyau de chair. La disposition harmonieuse des cinq orteils déployant leur délicat éventail depuis le pouce jusqu’au petit doigt, le rose des ongles qui ne le cédait en rien aux coquillages qu’on ramasse sur les plages d’Enoshima, l’arrondi du talon pareil à celui d’une perle, la fraîcheur lustrée d’une peau dont on pouvait se demander si une eau vive jaillissant entre les rochers ne venait pas inlassablement la baigner…Oui, c’était bien là un pied qui sous peu piétinerait les mâles et se gorgerait de leur sang vif ; … »

 

À l’admiration puis l’obsession, vient s’ajouter ce que l’on peut qualifier de perversion. Il y a une touche de fantastique ou de symbolisme. Et c’est avec sidération que je termine ces quelques pages.

La nouvelle suivante, Les Jeunes Garçons, met en scène de jeunes enfants. À nouveau, la description succincte des visages, des kimonos, est remarquables. L’après-midi de fête que les enfants passent ensemble dérape imperceptiblement. Les jeux sont-ils seulement méchants, violents ou révèlent-ils une nature sadiques ? La jouissance que le jeune Ei-chan Hagiwara éprouve le fascine lui-même. 

 

« J’avais l’impression d’avoir quitté un pays étrange et terrifiant pour me retrouver soudain dans une contrée humaine, et sur le chemin du retour je ne cessais de repenser aux événements incroyables de la journée. L’élégance hautaine de Shin.ichi, ses méchancetés à la fois imprévues et impitoyables, avaient réussi en quelques heures, à captiver mon cœur tout entier. »

 

Le corps dans ce qu’il a de plus beau mais aussi de plus ragoûtant, la face la plus noire de l’âme humaine à moins que ce ne soient que les premiers fantasmes d’enfants qui quittent peu à peu leur candeur, tout concorde à nous troubler, nous glacer d’effroi. Le talent de Tanizaki est immense.

 

Les ressorts de la dernière nouvelle, Le Secret, que je ne vais pas vous révéler, sont de l’ordre des oppositions, homme, femme, silence du temple et vie bouillonnante de certains quartiers, apparence et profondeurs de l’âme, élégance des tenues, des maquillages et vulgarité.

 

« Je restai debout immobile un moment devant l’enseigne de ce Seibidô qui m’avait tant mis à la torture. Comme les choses étaient différentes de ce qu’elles étaient la nuit quand les lanternes déversaient à flots leur lumière rouge et que sous le dais du ciel resplendissant d’étoiles, on baignait dans une atmosphère mystérieuse, comme dans un rêve ! Devant cet alignement de maisons

minables, toutes racornies dans le flamboiement du soleil d’automne, je me sentis d’un seul coup complètement dégrisé. »

 

Je vous souhaite d’être comme moi, sensible à la musique de cet auteur découvert un peu par hasard. J’ai éprouvé une grande admiration pour son écriture bien posée, évocatrice, qui se déploie devant nous comme un rouleau de peinture japonaise. On est à la fois happé par le récit, vraiment séduit par cette écriture lumineuse et tout à la fois effrayé par les recoins bien noirs de l’âme. C’est un envoûtement un peu mystérieux. Glaçant et somptueux à la fois. Je ne regrette pas ce choix mais ne me replongerai pas tout de suite dans une autre œuvre de Tanizaki. Vaut le détour.

 

Note : Le Tatouage a été publié en novembre 1910, Les Jeunes Garçons et Le Secret en 1911. Ces nouvelles ont été traduites en français  en 2010.

 Junichirô TANIZAKI, Le Tatouage et autres récits. Traductions de Cécile Sakai et de Marc Mécréant, édition Sillage, 2010.


15/04/2021
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