"La chambre des dupes," Camille Pascal par Isabelle Regout
"La chambre des dupes" Camille Pascal par Isabelle Regout
LA CHAMBRE DES DUPES, CAMILLE PASCAL , PLON, 2020
J’ai découvert Camille Pascal à la faveur de son premier roman : L’été des Quatre Rois, roman couronné par le Grand Prix de l’Académie Française. J’en suis sortie séduite par le style et époustouflée par la plume virevoltante de ce haut fonctionnaire français. [Conseiller d'État, ancien secrétaire général du groupe France Télévisions et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l'Élysée, Camille Pascal est historien de formation. Il est aujourd’hui la plume de Jean Casteix]
C’est non sans crainte que j’ai pénétré dans La Chambre des Dupes, son second roman. On reste ici exclusivement dans l’entourage de Louis XV et je craignais de respirer la poudre des perruques ou les miasmes d’une Cour un peu précieuse. Mais c’est sans compter le pouvoir de séduction de cet esprit hautement cultivé qui manie le verbe avec brio et classicisme.
Louis XV est bel homme, il a autant de prestance que de timidité. Son épouse polonaise, Marie Leszczynska, a mis 10 enfants au monde puis lui a fermé sa porte. Le roi est jeune encore, il aime « à se dégourdir le sceptre » et quatre des cinq filles du marquis de Nesle se succéderont dans son lit. La plus ambitieuse est certainement Marie-Anne, opportunément veuve du marquis de la Tournelle. Le peintre Nattier l’a immortalisée, Camille Pascal la fait revivre dans La Chambre des Dupes.
Avec un art consommé de la description (vous enrichirez votre vocabulaire, c’est certain ), il nous place au centre des intrigues de la Cour où il croque avec férocité le portrait de tel ministre ou tel prélat.
« Marie-Anne se fit annoncer chez le cardinal de Fleury, préférant affronter le vieillard en face plutôt que de continuer à jouer au chat et à la souris avec ce vieux matou presque gâteux mais bien mitré. Dès que Barjac eut annoncé la présence de la marquise dans son antichambre, le cardinal, pourtant habitué à faire patienter les plus grands seigneurs, demanda qu’on la prie instamment d’entrer dans son cabinet, où il se cala dans son immense fauteuil de bois doré en prenant aussitôt la pose qu’il affectionnait particulièrement et dans laquelle le peintre Rigaud l’avait immortalisé l’année de son élévation à la pourpre : la main gauche solidement refermée sur la crosse de l’accoudoir et la main droite nonchalamment posée sur le poignet dont il avait préalablement ébroué les manchettes de dentelles. Les valets intérieurs terminaient à peine d’arranger autour de lui les plis immenses de sa soutane rouge sang que la marquise entra d’une démarche impérieuse. Le prélat crut voir la déesse Junon descendue d’un ciel d’opéra se poser sur son parquet …. »
Il nous entraîne dans les petits appartements charmants de la favorite ou ceux de la reine où l’on se dispute l’honneur de s’asseoir sur un tabouret. « La Cour était un grand théâtre où il fallait savoir garder sa place ». Les clans se forment, les ministres et les cardinaux se disputent le pouvoir. La favorite défend bec et ongle sa place. On entend le bruissement de la soie sur les parquets cirés. On joue des coudes pour se frayer un passage dans les couloirs de Versailles où résonnent les talons rouges des courtisans.
On croise tant de monde, qu’il faut exercer sa mémoire sans relâche. Jusqu’au jour où, prenant la tête de ses armées, on retrouve le roi sur les routes de Flandres, à Lille, à Reims puis à Metz où une forte fièvre manque l’emporter. Considéré à l’article de la mort, ce Roi Très-Chrétien est sommé de se confesser en public, de « demander pardon à Dieu et au peuple du scandale et du mauvais exemple qu’il leur a donné ». Ah, mais, c’est qu’on ne rit pas avec la morale à cette époque. La crainte de l’enfer et de la damnation éternelle donne un sacré pouvoir aux confesseurs, aumôniers ou autres prélats issus de l’ancien parti dévot. La chambre du roi est la scène d’une terrible confession, d’une royale humiliation.
En collant au plus près des événements historiques, l’auteur nous fait revivre les heures glorieuses et dramatiques de ces années 1741-1746.
C’est très français, c’est éblouissant, c’est sidérant, c’est assez coquin.
Si la face cachée de tout ce beau monde vous rend curieux, si vous aimez un langage recherché mais point précieux, vous ne perdrez pas votre temps en vous plongeant avec délice dans ces 490 pages. J’ai aimé, c’est du grand art.
Paru aux éditions Plon en octobre 2020.