"Histoire du fils", Marie-Hélène Lafon par Philippe de Potesta
"Histoire du fils", Marie-Hélène Lafon par Philippe de Potesta
"Histoire du fils" de Marie-Hélène Lafon (roman) Buchet-Chastel, nov.2020, 171 p, Prix Renaudot 2020, Libraires de Nancy et du Point. Par Philippe de Potesta
Marie-Hélène Lafon est professeur de lettres classiques à Paris. Son premier roman, "Le soir du chien", a obtenu le Renaudot des lycéens en 2001. Depuis, elle a publié 12 romans et nouvelles.
Le fils, c'est André. La mère, c'est Gabrielle. Le père est inconnu. André est élevé par Hélène, la soeur de Gabrielle et son mari. Il grandit au milieu de ses cousines. Chaque été, il retrouve Gabrielle qui vient passer ses vacances en famille.
Entre Figeac, dans le Lot, Chanterelle ou Aurillac, dans le Cantal, et Paris, "Histoire du fils" sonde le coeur d'une famille, ses bonheurs ordinaires et ses vertiges les plus profonds, ceux qui creusent des galeries dans les vies, sous les silences.
Ce roman, bien que court et ne relatant que douze journées étalées de 1908 à 2008, en dit beaucoup sur l'histoire se rapportant à deux familles. Beaucoup de protagonistes en font partie. Un petit exercice cérébral nécessaire cependant pour retenir de nombreux prénoms ... Voilà mon seul reproche pour cette lecture.
Loin de l'ennui des grandes sagas interminables, on est plongé tout en subtilité dans nombres de destinées avec leurs tragédies, leurs bonheurs, leurs discours et leurs silences. Parmi eux, entre autres, des jumeaux, deux soeurs très différentes qui se soutiennent malgré tout.
Marie-Hélène Lafon commence son récit en parlant des deux jumeaux Lachalme; dont Armand qui dès son jeune âge évolue dans sa maison en humant toutes les odeurs afin de trouver ses repères.
Avec une écriture précise et douce comme le pinceau qui se pose sur la toile, elle nous enchante et on se régale.
Sa syntaxe est juste et un florilège d'adjectifs judicieux retient toute notre attention. Elle s'est identifiée au petit Armand pour nous livrer à sa manière les senteurs et les couleurs de l'environnement qu'elle désire nous faire découvrir. Un peu à la manière de la romancière belge Edmée de Xavée ("Silencieux tumultes")
Armand : (p14) "Il réfléchit beaucoup aux odeurs et aux couleurs des gens, des choses, des pièces ou des moments. Georges sent la confiture de prunes, quand la tante laisse cuire longtemps en été dans la bassine de cuivre". "Amélie sent la rivière, au printemps, la rivière haute des neiges fondues." "Paul sent le vent et la lame froide des couteaux qui sont dans la cuisine."
Tout nous parvient, palpable et coloré grâce à l'expertise d'écriture de Marie Lafon; nous sommes plongés dans son récit comme dans les meilleurs films d'ambiances et d'atmosphères de Milos Forman. Beaucoup d'études sur les caractères et les ressentis sont déployées de façon précise et expressive.
Après la guerre, en 1945, voici, à titre d'exemple, le regard que pose Gabrielle sur son fils André, p120 : "Résistant, respecté et reconnu, courageux, solide, fiable et loyal.
Elle s'arrange avec cette litanie glorieuse, elle pourrait être fière, elle l'est sans doute, mais elle l'est surtout parce qu'André est beau. Un beau héros. Il tient de son père l'allure, l'élan du corps, la ligne des épaules et des hanches, quelque chose qui , plus de vingt ans après, émeut encore la femme vieillissante qu'elle est devenue.
De la beauté d'André, Gabrielle se sent responsable; ça la regarde, tandis que le riche cortège de ses vertus héroïques, que l'époque révèle et célèbre, ne la concerne que de très loin."
Je concluerai en ne vous cachant pas que j'ai beaucoup aimé ce roman si parfaitement écrit avec brio. Il y a fort à parier qu'on parlera encore dans le futur de Marie Hélène Lafon.
Philippe de Potesta