"Comme un ciel en nous" . Jakuta Alikavazovic par Philippe de Potesta
"Comme un ciel en nous" . Jakuta Alikavazovic . Ma nuit au musée, Stock . Septembre 2021, 152P , 18 eu .
Romancière née à Paris J. Alikavazovic avait obtenu le Goncourt du premier roman en 2008. Comme un ciel en nous, est son sixième roman. Elle accepte pour l’écrire de passer une nuit dans le musée du Louvre . C’est une idée et une collection de la maison d’édition Stock .
Pendant cette nuit au Louvre , l’auteure veut redevenir la fille de son père qui a fui la Yougoslavie à vingt ans pour éviter le service militaire sous un régime communiste . Ce dernier était persuadé qu’on pouvait s'installer non dans un pays, mais dans la beauté.
Je suis venu à Paris pour le Louvre ,maintenait-il . Il étudie les beaux-arts. Mais les choses ne sont pas toujours telles qu’on les raconte . Et sa fille Jakuta se gardera bien de dire qu’à chacune de leur visite ,son père lui demandait “ Et toi,comment t’y prendrais-tu pour voler la Joconde ?”
Pendant une nuit ,une nuit entière , l’auteure va tenter de lui répondre et de tenter de cerner la personnalité de son père .
D’une écriture fluide qui parle au présent tout comme à l’imparfait, tantôt foisonnante et humoristique mais qui peut être parfois complexe, Jakuta ( qui a horreur de son prénom) nous amène dans sa nuit de réflexions et de souvenirs .
P54 “ L’histoire de l’art ,c’est une histoire de fantômes pour grandes personnes disait mon père. L’art aura été son affaire . La grande affaire de sa vie . Rien ne l’y destinait . Il est né dans une petite ville du Monténégro , qui faisait partie de la république fédérative socialiste de Yougoslavie ,laquelle n’existe plus .En 1951, le jour de sa naissance ,le soviétique Molotov condamne avec virulence les nouvelles relations de la Yougoslavie avec l’Occident; les Etats Unis,la Grande Bretagne et la France accordent ce mois là au pays une aide économique tripartite,” dans l’intérêt de la paix mondiale” .”
Cette nuit au Louvre va ouvrir les yeux de l’auteure sur ses rapports tendus avec son père .
P85 “ Ce qu’on appelle grandir est une série de trahisons . J’ai renié sinon mon père, du moins ses goûts. “
P86 “ dès que j’ai pu, je suis partie . J’ai quitté l’université; j’ai quitté la France . Tout ce qui lui était cher, je l’ai rejeté. Il aimait la sobriété et l’élégance : je me suis teint les cheveux en rose. Je ratais nos dîners. Je ratais son anniversaire. Pour le punir de ses fictions, j’en adoptais d’autres- sans me rendre compte que, ce faisant, je n’étais pas moins, mais plus sa fille.”
Jakuta a eu de la peine à vivre avec son père qu’elle connaissait peu en somme . En tant qu’immigré ,il s’était créé un personnage plus riche qu’il n’était .
P125 “ Je sais ,comme savent les enfants, certaines choses de mon père, des choses qu’il ne m’a pas dites ; je sais qu’il prenait parfois des libertés; je sais que certaines de ses fréquentations étaient , comme on dit , louches ; je sais que la belle montre ,le bel imperméable qu’il m’avait offerts ne venaient pas de belles boutiques ; et je sais que le réalisme, ce qu’on appelle le réalisme, n’est qu’un effet d style. Mon père ,je l'ai vu aller plus loin encore , et dire que le réel, - oui,le réel- n’est qu’un effet de style . Cette idée le mettait en avance sur son temps , en avance sur le mien, même, sur celui de mon fils ; mais au fond, elle n’est pas si étrange chez un homme qui s’est inventé, réinventé , un homme qui est sa propre création . Cependant la fiction - à moins que ce ne soit le réel ?- nous rattrape parfois , par d'étranges moyens. Ces hommes- là plus facilement que d’autres .”
Le Louvre réunit et réconcilie la fille au père en cette nuit de réflexions et de songeries .
Je trouve la conclusion à cette critique à la P 42
“ La puissance de cet espace , de ce qui s’y trouve ,de ce qui s’y est trouvé et s’y trouvera ,fait que c’est toujours lui qui gagne à la fin .”
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